Durant l'été 2015, une amie très chère est morte accidentellement, presque sous mes yeux, et c'est l'immense fragilité de la vie qui, à cet instant, m'a sauté au visage. J'avais déjà été confronté bien des fois à la mort mais cet évènement tragique a été le deuil en trop, une manière d'enfoncez-vous-ça-bien-dans-la-tête particulièrement obscène.

 
Jusqu'à cette date fatale, j'avais l'habitude de réaliser de petites notations photographiques : moments volés, portraits, objets surpris dans leur solitude. Ces images n'avaient pas de statut particulier, elles ne procédaient pas d'une intention franche, elles accompagnaient seulement le passage des jours. 

Le chagrin et la colère leur ont conféré une identité nouvelle. J'y voyais poindre une intensité jusqu'alors insaisissable, inaperçue et, simultanément, une grande précarité, une incertitude. 

J'ai alors décidé de les réorganiser en tentant de décélérer ce qu'elles avaient en commun, ce qui pouvait les lier, les joindre. L'union, parait-il, fait la force. Je me suis également résolu à poursuivre ma collecte, toujours dans la hantise d'un nouveau malheur.

 
Ce travail n'est pas un journal, encore moins une série comme l'entendent souvent les photographes. Ce sont seulement des images qui se succèdent, se répondent, se complètent, au fil du temps. C'est un conservatoire d'instants, c'est à dire une façon de sauver ce qui m'a semblé précieux et irremplaçable. C'est montrer le proche, le lointain, rendus égaux dans la succession des photographies. 


Pendant dix ans, cela a constitué pour moi une sorte de besogne, à la fois modeste et exigeante. En décembre 2022, j'ai décidé d'y mettre fin. 

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